lundi 13 février 2012

Victor Hugo, Poème, A l'Enfant Malade Pendant Le Siège

Si vous continuez d'être ainsi toute pâle
Dans notre air étouffant,
Si je vous vois entrer dans mon ombre fatale,
Moi vieillard, vous enfant ;

Si je vois de nos jours se confondre la chaîne,
Moi qui sur mes genoux
Vous contemple, et qui veux la mort pour moi prochaine,
Et lointaine pour vous ;

Si vos mains sont toujours diaphanes et frêles,
Si, dans vôtre berceau,
Tremblante, vous avez l'air d'attendre des ailes
Comme un petit oiseau ;

Si vous ne semblez pas prendre sur notre terre
Racine pour longtemps,
Si vous laissez errer, Jeanne, en notre mystère
Vos doux yeux mécontents ;

Si je ne vous vois pas gaie et rose et très forte,
Si, triste, vous rêvez,
Si vous ne fermez pas derrière vous la porte
Par où vous arrivez ;

Si je ne vous vois pas comme une belle femme
Marcher, vous bien porter,
Rire, et si vous semblez être une petite âme
Qui ne veut pas rester,

Je croirai qu'en ce monde où le suaire au lange
Parfois peut confiner,
Vous venez pour partir, et que vous êtes l'ange
Chargé de m'emmener.

Victor Hugo, Poème, Vere novo

Comme le matin rit sur les roses en pleurs !
Oh ! Les charmants petits amoureux qu'ont les fleurs !
Ce n'est dans les jasmins, ce n'est dans les pervenches
Qu'un éblouissement de folles ailes blanches
Qui vont, viennent, s'en vont, reviennent, se fermant,
Se rouvrant, dans un vaste et doux frémissement.
O printemps! Quand on songe à toutes les missives
Qui des amants rêveurs vont aux belles pensives,
A ces cœurs confiés au papier, à ce tas
De lettres que le feutre écrit au taffetas,
Au message d'amour, d'ivresse et de délire
Qu'on reçoit en avril et qu'en met l'on déchire,
On croit voir s'envoler, au gré du vent joyeux,
Dans les prés, dans les bois, sur les eaux, dans les cieux,
Et rôder en tous lieux, cherchant partout une âme,
Et courir à la fleur en sortant de la femme,
Les petits morceaux blancs, chassés en tourbillons
De tous les billets doux, devenus papillons.

Victor Hugo, Poème, A l'Arc de triomphe



II

Oh ! Paris est la cité mère !
Paris est le lieu solennel
Où le tourbillon éphémère
Tourne sur un centre éternel !
Paris ! feu sombre ou pure étoile !
Morne Isis couverte d'un voile !
Araignée à l'immense toile
Où se prennent les nations !
Fontaine d'urnes obsédée !
Mamelle sans cesse inondée
Où pour se nourrir de l'idée
Viennent les générations !

Quand Paris se met à l'ouvrage
Dans sa forge aux mille clameurs,
A tout peuple, heureux, brave ou sage,
Il prend ses lois, ses dieux, ses moeurs.
Dans sa fournaise, pêle-mêle,
Il fond, transforme et renouvelle
Cette science universelle
Qu'il emprunte à tous les humains ;
Puis il rejette aux peuples blêmes
Leurs sceptres et leurs diadèmes,
Leurs préjugés et leurs systèmes,
Tout tordus par ses fortes mains !

Paris, qui garde, sans y croire,
Les faisceaux et les encensoirs,
Tous les matins dresse une gloire,
Eteint un soleil tous les soirs ;
Avec l'idée, avec le glaive,
Avec la chose, avec le rêve,
Il refait, recloue et relève
L'échelle de la terre aux cieux ;
Frère des Memphis et des Romes,
Il bâtit au siècle où nous sommes
Une Babel pour tous les hommes,
Un Panthéon pour tous les dieux !

Ville qu'un orage enveloppe !
C'est elle, hélas ! qui, nuit et jour,
Réveille le géant Europe
Avec sa cloche et son tambour !
Sans cesse, qu'il veille ou qu'il dorme,
Il entend la cité difforme
Bourdonner sur sa tête énorme
Comme un essaim dans la forêt.
Toujours Paris s'écrie et gronde.
Nul ne sait, question profonde !
Ce que perdrait le bruit du monde
Le jour où Paris se tairait !

"extrait, le poème est magnifique mais très long"

mercredi 8 février 2012

Victor Hugo, Poème, Vers 1820


Denise, ton mari, notre vieux pédagogue,
Se promène ; il s'en va troubler la fraîche églogue
Du bel adolescent Avril dans la forêt ;
Tout tremble et tout devient pédant, dès qu'il paraît :
L'âne bougonne un thème au bœuf son camarade ;
Le vent fait sa tartine, et l'arbre sa tirade,
L'églantier verdissant, doux garçon qui grandit,
Déclame le récit de Théramène, et dit :
Son front large est armé de cornes menaçantes.

Denise, cependant tu rêves et tu chantes,
A l'âge où l'innocence ouvre sa vague fleur,
Et, d'un œil ignorant, sans joie et sans douleur,
Sans crainte et sans désir, tu vois, à l'heure où rentre
L'étudiant en classe et le docteur dans l'antre,
Venir à toi, montant ensemble l'escalier,
L'ennui, maître d'école, et l'amour, écolier.

Victor Hugo, Poème, A Jeanne


Ces lieux sont purs ; tu les complètes.
Ce bois, loin des sentiers battus,
Semble avoir fait des violettes,
Jeanne, avec toutes tes vertus.

L'aurore ressemble à ton âge ;
Jeanne, il existe sous les cieux
On ne sait quel doux voisinage
Des bons cœurs avec les beaux lieux.

Tout ce vallon est une fête
Qui t'offre son humble bonheur ;
C'est un nimbe autour de ta tête ;
C'est un éden en ton honneur.

Tout ce qui t'approche désire
Se faire regarder par toi,
Sachant que ta chanson, ton rire,
Et ton front, sont de bonne foi.

Ô Jeanne, ta douceur est telle
Qu'en errant dans ces bois bénis,
Elle fait dresser devant elle
Les petites têtes des nids.

vendredi 3 février 2012

Victor Hugo, Poème, Vieille chanson du jeune temps

 Je ne songeais pas à Rose ;
Rose au bois vint avec moi ;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de quoi.

J'étais froid comme les marbres ;
Je marchais à pas distraits ;
Je parlais des fleurs, des arbres
Son œil semblait dire: " Après ? "

La rosée offrait ses perles,
Le taillis ses parasols ;
J'allais ; j'écoutais les merles,
Et Rose les rossignols.

Moi, seize ans, et l'air morose ;
Elle, vingt ; ses yeux brillaient.
Les rossignols chantaient Rose
Et les merles me sifflaient.

Rose, droite sur ses hanches,
Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre aux branches
Je ne vis pas son bras blanc.

Une eau courait, fraîche et creuse,
Sur les mousses de velours ;
Et la nature amoureuse
Dormait dans les grands bois sourds.

Rose défit sa chaussure,
Et mit, d'un air ingénu,
Son petit pied dans l'eau pure
Je ne vis pas son pied nu.

Je ne savais que lui dire ;
Je la suivais dans le bois,
La voyant parfois sourire
Et soupirer quelquefois.

Je ne vis qu'elle était belle
Qu'en sortant des grands bois sourds.
" Soit ; n'y pensons plus ! " dit-elle.
Depuis, j'y pense toujours.

jeudi 2 février 2012

Victor Hugo, Poème, A Granville, en 1836



Voici juin. Le moineau raille
Dans les champs les amoureux ;
Le rossignol de muraille
Chante dans son nid pierreux.

Les herbes et les branchages,
Pleins de soupirs et d'abois,
Font de charmants rabâchages
Dans la profondeur des bois.

La grive et la tourterelle
Prolongent, dans les nids sourds,
La ravissante querelle
Des baisers et des amours.

Sous les treilles de la plaine,
Dans l'antre où verdit l'osier,
Virgile enivre Silène,
Et Rabelais Grandgousier.

O Virgile, verse à boire !
Verse à boire, ô Rabelais !
La forêt est une gloire ;
La caverne est un palais !

Il n'est pas de lac ni d'île
Qui ne nous prenne au gluau,
Qui n'improvise une idylle,
Ou qui ne chante un duo.

Car l'amour chasse aux bocages,
Et l'amour pêche aux ruisseaux,
Car les belles sont les cages
Dont nos cœurs sont les oiseaux.

De la source, sa cuvette,
La fleur, faisant son miroir,
Dit: -Bonjour,- à la fauvette,
Et dit au hibou: -Bonsoir.-

Le toit espère la gerbe,
Pain d'abord et chaume après ;
La croupe du bœuf dans l'herbe
Semble un mont dans les forêts.

L'étang rit à la macreuse,
Le pré rit au loriot,
Pendant que l'ornière creuse
Gronde le lourd chariot.

L'or fleurit en giroflée;
L'ancien zéphyr fabuleux
Souffle avec sa joue enflée
Au fond des nuages bleus.

Jersey, sur l'onde docile,
Se drape d'un beau ciel pur,
Et prend des airs de Sicile
Dans un grand haillon d'azur.

Partout l'églogue est écrite :
Même en la froide Albion,
L'air est plein de Théocrite,
Le vent sait par cœur Bion,

Et redit, mélancolique,
La chanson que fredonna
Moschus, grillon bucolique
De la cheminée Etna.

L'hiver tousse, vieux phtisique,
Et s'en va; la brume fond ;
Les vagues font la musique
Des vers que les arbres font.

Toute la nature sombre
Verse un mystérieux jour ;
L'âme qui rêve a plus d'ombre
Et la fleur a plus d'amour.

L'herbe éclate en pâquerettes ;
Les parfums, qu'on croit muets,
Content les peines secrètes
Des liserons aux bleuets.

Les petites ailes blanches
Sur les eaux et les sillons
S'abattent en avalanches ;
Il neige des papillons.

Et sur la mer, qui reflète
L'aube au sourire d'émail,
La bruyère violette
Met au vieux mont un camail ;

Afin qu'il puisse, à l'abîme
Qu'il contient et qu'il bénit,
Dire sa messe sublime
Sous sa mitre de granit.